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Alfred Papuçiu: Des souvenirs d’une sincère camaraderie

| E hene, 08.06.2009, 04:21 PM |


Des souvenirs d’une sincère camaraderie

Alfred Papuçiu

Pendant que j’écris ces quelques lignes, mon esprit s’envole pour s’arrêter au souvenir de mon tout premier jour à l’école secondaire.

La cloche a sonné et je suis entré en classe tout ému. Je les voyais pour la première fois, mes camarades de classe. Ils ont tous pris place comme cela leur a convenu. Moi aussi, je me suis assis ou plutôt je me suis tapi dans un coin d’un banc au fond de la classe.

Une fille de grande taille avait pris place juste devant moi. Elle portait un tricot rouge sur lequel reposait une natte dense et dorée. Je ne sais pas pourquoi le désir m’est venu en ces moments d’avoir moi aussi un ami qui prendrait place à côté de moi, sur le même banc ; un ami avec qui je parcourrais le chemin long, difficile mais si beau de l’école secondaire. J’en aurais certainement plusieurs, mais pourquoi ne pas en trouver un dès le premier jour ! Cette fille, devant moi, serait-elle du même avis ? Apparemment oui ; et elle s’est montrée plus adroite que moi ; elle a tourné la tête, a ébauché un sourire et a parlé la première :

            - Pourquoi est-ce que tu restes seul ? Viens t’asseoir ici. On reste ensemble !

            J’ai rougi, troublé de son regard bienveillant et, sans mot dire, j’ai pris le cartable et, timidement, j’ai pris place auprès d’elle.

            C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de ma camarade de banc.

            Les jours s’écoulaient et petit à petit, cette honte que je ressentais à l’école primaire quand je devais rester avec les filles, je ne l’éprouvais plus. Nous causions souvent et restions ensemble dans la cours de l’école pendant les récréations et nous nous aidions à mieux assimiler les leçons. Quelle n’était sa satisfaction, lorsque j’avais de bonnes notes ! Quel courage elle me donnait de son regard quand, trouvé devant le tableau, je me laissais démonter !  (A vrai dire, j’ai été timide plus qu’il ne fallait ; c’est peut-être à cause de mes parents qui avaient encouragé ma nature un peu enfermée). Nous nous sommes liés d’une amitié si forte que nous partagions tout ce que nous avions de gai ou de triste.

            Il m’est arrivé une fois d’avoir la note 2 en algèbre. La rancune contre moi-même était si grande que j’ai failli pleurer. J’avais étudié le soir précédent, mais je n’ai quand même pas pu résoudre le problème. Ereinté comme j’étais, la tête baissée, je suis retourné à mon banc. Elle m’a serré le bras et m’a dit à voix basse :

            - Ne t’en fais pas, tu vas améliorer cette note !

            La leçon finie, les élèves sont sortis ; mais, moi, je n’ai pas bougé. Et elle de reprendre :

            - Pourquoi tu te laisses aller ainsi ? Ce n’est pas la fin du monde.

            - Je nourris de la rancune contre moi-même, lui dis-je. Il m’arrive souvent de me laisser déconcerter.

            - Tu sais, a-t-elle dit en souriant. C’est vrai que tu es un peu faible en algèbre. Ça te dirait d’étudier ensemble.

            - D’accord, lui ai-je dit à mi-voix. Mais, je crains de devenir un obstacle pour toi.

            - Ne dis pas ça, m’a-t-elle reproché. En étudiant ensemble, nous aiderons l’un l’autre.

            Trois ans et demi se sont écoulés depuis ce jour-là. Nous avons réussi la neuvième, la dixième, et la onzième. Maintenant, nous devons passer le baccalauréat. Tous les deux à la même classe et au même banc. Etudier ensemble, cela est devenu une habitude. Aller ensemble au cinéma, également. Souvent, nous nous promenons ensemble.

            Mais, il y en a eu, parmi les élèves, de ceux qui ont mal interprété notre amitié. Grande était ma révolte un jour, lorsque j’ai entendu quelqu’un me dire :

            - Ça va avec la blonde ? Quel crampon que tu es ! Elle, non plus, ne reste pas derrière.         

            Tu devrais avoir honte de tes propres paroles, lui dis-je en l’interrompant. Comment est-ce possible de penser ainsi. C’est une camarade, notre camarade de classe. On étudie et on se promène ensemble. Quel mal il y a à cela ?

            J’ai fait part à mon camarade de ce qui m’était arrivé en exprimant en même temps mon opinion qu’il serait peut-être mieux de ne pas rester longtemps ensemble, par ce que je ne voudrais pour quoi que ce soit nuire à sa personnalité.

            - Ne te fais pas de bile, m’a-t-elle répondu. Ceux qui parlent d’une telle façon, ne connaissent pas l’amitié. Quoi qu’il en soit, je pense que même à l’université, nos chemins ne seront pas différents. Je ne sais pas, mais je sens que j’ai envie de t’avoir toujours à mes côtés, parce qu’avec toi je parle ouvertement et de tout, plus qu’avec mon frère.

            Et, elle m’a embrassé instinctivement et je l’ai serrée fort dans mes bras en exprimant mon bonheur et ma chance d’avoir une camarade si bonne, si franche, si pure et si riche en sentiments humains. Souvenir d’une sincère camaraderie.

1965