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Fotaq Andrea: Preljocaj, l'ange qui danse avec les etoiles

E enjte, 14.04.2011, 06:57 PM


PRELJOCAJ, L’ANGE QUI DANSE AVEC LES ETOILES

 

Plus de 40 œuvres chorégraphiques créées et recréées, plus de 100 spectacles par an dans le monde et autant en France, lauréat français et international, Chevalier et Officier d’Honneur des Arts et des Lettres de France, l’un des chorégraphes majeurs de la danse contemporaine française et mondiale, le Franco-Albanais Angelin Preljocaj fait parler avec art le corps humain.

 

Par Fotaq Andrea

 

Sur le pont de l’Ill à Strabourg, un petit garçon lâcha dans l’air un ballon rouge, et tout content, il suivit du regard sa danse folle dans le vent soufflant par rafales. Peu après, cette belle chorégraphie aérienne fut suivie par une nouvelle danse du ballon, cette fois sur la surface du fleuve, où il devait finir sa course. Et pourtant, toutes excitées, les vaguelettes en prirent possession et ne cessaient de le caresser et de le transmettre doucement sur leur dos par un jeu élastique de saute-mouton. C’était là son nouveau ballet aquatique, tout doux et calme. Or, jalouses et fougueuses, les mouettes de l’Ill, zigzagant dans les airs ou tombant à pic, se ruèrent alors sur le ballon flottant, et par des dizaines de coups de becs ou de griffes, elles le firent danser dans la pire souffrance. Majestueux et indifférents, comme dans les poèmes de Lasgush Poradeci, un couple de cygnes glissèrent à côté de ces danseuses chamailleuses, avant de plonger leurs longs cous gracieux dans les eaux troublées et de se transformer en écheveaux de soie flottant.

Emerveillé par ce beau spectacle, le petit garçon applaudit des deux mains cette belle chorégraphie que la nature lui a offerte…

 

Sur scène, un spectacle tout aussi inattendu est offert au public par Angelin Preljocaj, le danseur et le chorégraphe mondialement reconnu. Car si la « chorégraphie originale » de l’enfant strasbourgeois sur le pont de l’Ille est encadrée dans la vie de tous les jours, le spectacle de Preljocaj est plutôt ce « quelque chose en dehors de la vie courante », une expérience extra et supra-humaine. Imaginons un instant, par une simple transposition, au lieu de l’Ill, le Kilimanjaro à 5963 mètres de hauteur, au lieu du ballon transporté par les courants, notre propre corps, au lieu des mouettes, les embruns d’un cataracte qui tombe du ciel, au lieu des cygnes, un arc-en-ciel au milieu d’une tempête musicale. Et le résultat sera « Near Life Experience », un spectacle impressionnant, l’une de ses dernières créations les plus réussies.

Tout pour le corps et par le corps, avec une folle passion et une avidité insatiable. C’est en Tanzanie où se trouve l’un des plus hauts sommets de la planète que Preljocaj éprouve la sensation d’une suspension, d’un flottement en l’air, cette rare « expérience, comme il dit, de dehors-de-corps, au-dessus des limites très externes de la conscience ». Et très vite, sur scène, le cataracte impétueux du fleuve chorégraphique d’Angelin va devenir un « sérum de vérité », selon l’expression de Dominique Simonnet. Car c’est précisément là, sous la voûte céleste, où le temps et l’espace confondent leurs limites dans leur mariage éternel, qu’Angelin communique avec les astres, goûte leur secret, ce « mystère universel de la vie », selon les termes de Kadaré…

 

J’ai sur ma table plusieurs articles écrits à propos de cette personnalité importante du ballet contemporain, ses entretiens, le livre qu’Ismaïl Kadaré lui a consacré, le décrivant comme « l’homme qui a la faculté de puiser dans les autres hommes quelques seaux de ciel et de divinité » -, le livre « Angelin Preljocaj » du photographe Delahaye et d’Agnès Freschel, l’œuvre de Paul Valéry « L’âme et la danse », alors que par DVD, je suis son ballet en trois actes « Le parc », à la fois moderne dans sa composition et classique dans son habit musical mozartéen.

 

Et pourtant, bien vite, je commence à identifier chez le preux Muji1 notre Preljocaj, le maître du mouvement artistique du corps et le possesseur de son énergie. Je l’identifie aussi chez son frère Halili, dont le corps ressemble à un sapin de montagne avec les sourcils « aux crêtes arquées et éclairées par le rayon du soleil », chez Zouk Flamourtari, le gonfalonier des preux, et chez tant d’autres. Je le vois alors parmi eux, dans leur longue chevauchée, sur les sommets escarpés

Angjelin Preljocaj
Angjelin Preljocaj
et dans les gouffres profonds, à la poursuite des chèvres aux cornes d’or, aux cœurs desquelles est cachée l’âme des fées en colère. Je le vois partout à Jutbina et Kraïna ,2 là où jaillit l’eau des sources pures, où chante le rossignol, retentit la lahouta,3 galopent et se cabrent les chevaux, où dansent papillons et libellules et où le rayon du soleil vacille dans le brouillard confus des temps. Il est là, quand les fées nourrissent Muji pour lui procurer la force des braves, quand elles l’invitent à leur fête orphique et que la terre entière tremble sous les pas des preux dans leur ronde avec les chtoïzovallés4.

 

Les chtoïzovallés. Terme mythologique albanais dérivé de toute une phrase : « Shtoï o Zot vallène!5». L’admiration et l’amour de notre peuple pour la danse ont été personnifiés ingénieusement chez ces êtres mythologiques depuis l’antiquité. Les chtoïzovallés, les t’loumés (les heureuses), les zanas de Zeus6, ces voix de la Voix, et les ores (les heures du jour et de la nuit), toutes ces fées danseuses albanaises, les belles filles de la voix et de la volonté du Dieux, sont nées et résident dans les fameuses Bièchkes montagneuses, pays d’origine de Preljocaj. Et, tout comme Muji, elles l’ont allaité, lui inspirant le miracle de la danse. Il y a été et il y est toujours, parmi nos preux et nos splendides chtoïzovallés, menant leur danse divine et infinie, alors qu’une douce voix polyphonique les accompagne, celle de la « Fille des Ondes », ce chant antique chimariote, transmis par l’écho des vagues du golfe d’Otrante, si tragique pour les Albanais depuis des siècles.

Depuis des siècles, comme cette zana amoureuse de la mer à la recherche de son ondin. Et l’Ondin, c’est Preljocaj, celui qui comprend le langage de l’eau, de la mer, de la montagne, du désert, qui pénètre dans les tréfonds de l’âme, qui interprète même le grondement des Dieux. Grâce à sa faculté miraculeuse d’utiliser devant le public son « troisième langage » du mouvement artistique, de presser dans son poing toute l’énergie du corps humain pour avoir ce verre d’art et de vérité.

Le corps humain. Puissance expressive de la chair dans tous ses états et positions, de l’agonie à l’hypnose, de l’angoisse à l’ivresse, de la reptation à la course, de la crampe et la crispation à la détente et à l’apaisement. Le corps à la recherche de réalités et d’apparences humaines, enchevêtrées à des notes de musiques, capricieuses, brusques ou plaintives. C’est tout le langage mystérieux du ballet angélique de Preljocaj, d’une beauté rare, dans toute sa nudité et transparence. 

On y affronte désir et panique, fascination et terreur, comme dans sa version du « Sacre du Printemps », où l’angoisse et le lourd silence précèdent l’explosion de la musique de Stravinsky. On y exorcise peurs ancestrales, haines et mystères de la mort ou de la sexualité, par un jeu fascinant de corps enroulés, superposés, multipliés ou alanguis, comme dans « Noces », pièce époustouflante, qualifiée d’une beauté pure. On y rencontre « une mythologie des temps modernes » et une « météorologie singulière » (« Les 4 Saisons »), où les météores prennent des formes inattendues et les visages des danseurs expriment joie et débordement en pleine alchimie, à travers le jeu d’un Vivaldi imaginaire.

Tout spectacle chez ce génie de la danse reflète ce que lui-même appelle « l’épreuve incessante du corps » et constitue, à chaque fois, un nouveau défi à ses limites, toujours repoussées et dépassées. Car son âme chevillée au corps témoigne que sa danse n’est autre qu’ « un art de combat », et que son ardeur farouche est « aiguisée par le destin de sa famille albanaise, happée dans les violences de la guerre ».

Il est toujours à la recherche d’un au-delà artistique, courageux et puissant, doux, pur et capricieux. C’est le dépassement de soi, l’outre-corps dans le corps, et à travers le corps. Il va si loin avec sa fantaisie corporelle, qu’on dirait un oiseau qu’on ne peut attraper en plein vol, un ange qu’on ne peut saisir en plein réveil. Toutefois, même s’il va toujours plus loin et plus haut par son corps et son âme, c’est sur le sol qu’il reprend force, comme Antée, pour de nouveaux élans. « C’est la terre, le sol, le lieu solide, dit Preljocaj, le plan sur lequel piétine la vie ordinaire, et procède la marche, cette prose du mouvement humain ».

Et le spectateur suit, avec stupéfaction et admiration, dans une sérénité ou une tempête musicales, les mouvements d’un corps détaché de ses équilibres ordinaires et qui joue « au plus prompt avec sa pesanteur ». C’est un corps dansant « dans un autre monde, qui n’est plus celui qui se peint de nos regards », un monde « tissé par ses pas et construit par ses gestes ». Ses paroles de Preljocaj sont tout aussi poétiques, que sa danse est imprégnée de lyrisme et de sensualité.

A l’heure actuelle, en France et partout dans le monde, les œuvres chorégraphiques d’Angelin Preljocaj, qui dirige la compagnie qui porte son nom et le Centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence, sont interprétées par les plus grands ballets et programmées sur les plus grandes scènes du monde, depuis l’Opéra de Paris, jusqu’aux scènes de New York, de Tokyo et de plusieurs autres capitales d’Europe, Asie et d’Amérique.

Toujours créateur et prolixe, source d’énergie intarissable, le danseur et le chorégraphe franco-albanais Angelin Preljocaj demeure sur scène un roi du mouvement artistique corporel, avec un riche répertoire commencé en 1984 avec ses « Aventures coloniales » et le « Marché noir », jusqu’à « N » (Haine), sa dernière création réussie.

Le 19 janvier dernier, Angelin fêtait le cinquantième anniversaire de sa naissance. Cinquante plumes d’or dans ses ailes d’ange. Il ne nous reste qu’à joindre, à cette occasion, au souhait de cœur de tout le peuple albanais, une carte de visite très ancienne, provenant directement de notre mythologie : « Shtoji o Zot vallène7, à ce Shtjozovall moderne de notre époque! ».

02. 04.2004

 



1 A lire Muyi, le preux qui réalise le Bien par ses actes. En albanais, le verbe me mujt signifie être capable de faire, de réaliser quelque chose.

2 Lieux sacrés où se déroulent les gestes des preux albanais.

3 Instrument de musique à une seule corde, qui accompagne les chansons de geste des rhapsodes du Nord de l’Albanie.

4 Chtoïzovalles : les fées.

5 Que Dieu leur augmente la danse.

6 En albanais Zeu signifie la voix,  d’où Zeus, le Dieu de la Voix qui châtiait par ses tonnerres. 

7 Que Dieu augmente la danse à cet Ondin.



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